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"Femme contre le féminisme" : le paradoxe d'un discours masculiniste antiféministe

Depuis plusieurs années, des femmes, très jeunes pour la plupart, s'affichent en photo sur Facebook en expliquant pourquoi elles se proclament "antiféministes". Le nom de leur mouvement est "Women Against Feminism". Chacune des femmes tient une petite pancarte qui débute par "Je n'ai pas besoin du féminisme parce que..." et explique pourquoi elles s'opposent au féminisme.


La page Facebook "Women Against Feminism" a été créée aux États-Unis le 3 janvier 2014. Depuis, des femmes, âgées entre 18 et 24 ans, si l'on en croit les statistiques fournies par le réseau social, ont posté une photo d'elle avec, à chaque fois, une phrase explicative.

Sur Facebook, peu d'informations sont disponibles quant à l'identité du ou des créateurs de cette page. Difficile donc de savoir qui se cache derrière cette initiative qui pourrait être individuelle ou portée par une association.


Le mouvement des femmes contre le féminisme n'est pas nouveau. L'antisémitisme a toujours existé, même au féminin. Il s'agissait plutôt de femmes catholiques durant la première vague de féminisme entre la fin du XIXe et le début du XXe siècle. Elles défendaient surtout l'image de la mère et de l'épouse dévouée. Ici, ces jeunes filles reconnaissaient que les hommes et les femmes sont en égaux en droit mais on tendance à oublier que c'est grâce aux féministes. Certaines opposantes pensent que le combat est désormais inutile mais elles reconnaissent tout de même son utilité dans le passé. Chez les "Women Against Feminism", il y a un certain dénigrement de l'histoire.


Les argumentaires de ces antiféministes se déclinent autour de huit points :

  • L'égalité des droits existe déjà

  • Le féminisme s'apparente à de la censure

  • Le féminisme promeut l'idée que les femmes sont de petites choses fragiles

  • Le féminisme fait de la discrimination anti-hommes

  • L'idée que le patriarcat existe est un fantasme.

  • C'est votre choix d'avoir un salaire égal à celui d'un homme ou non

  • Les féministes exagèrent les statistiques sur le viol

  • Le féminisme sert à contrôler les autres femmes


Beaucoup expliquent qu'elles veulent l'égalité par rapport aux hommes et non la "supériorité".


Les mouvements féministes ont réagis à ces publications. Le site Total Sorority Move a choisi de contrer les arguments des antiféministes, en posant elles-mêmes avec des pancartes ironiques (Pancartes antiféministes : "Je n'ai pas besoin de féminisme parce que les hommes de ma vie s'occupent de moi et me respectent (oui cela existe). Les hommes ne sont pas des porcs.", réponse féministe : "Nous sommes très contente pour toi ! Tu es différente de toutes les autres femmes".) et une journaliste de Rue 89 fait part de sa consternation dans un billet et préfère opter pour le second degré.


Plus mesuré, le site internet de Madmoizelle estime "qu'elles sont féministes, quoiqu'elles en disent", car elles "prônent l'égalité entre les sexes et dénoncent toutes formes d'inégalités entre eux". L'article conclut que ces femmes, plutôt que de critiquer le féminisme, s'élèvent en réalité contre une certaine forme de militantisme.


L'antiféminisme "ordinaire"


L'antiféminisme ordinaire se veut "un antidote au féminisme" en posant des barrières aux avancées des femmes. Il se manifeste dans les discours et les pratiques, de manière parfois implicite ce qui peut le rendre difficile à distinguer. Souvent associé à une conception naturaliste de la société, attribuant des places fixes aux hommes et aux femmes, l'antisémitisme ordinaire impute au mouvement féministe les maux de la société. Ce phénomène s'explique entre autres par la crainte des hommes de voir disparaître leurs espaces privilégiés de pouvoir.


L'antiféminisme ordinaire s'appuie sur une vision des femmes allant de la femme diabolique à la femme rivale, en passant par la femme soumise/victime. Ces images défavorables aux femmes contribuent à diffuser des stéréotypes avilissants dans la société. Elles constituent un frein à l'égalité.


L'antiféminisme ordinaire transporte l'idée selon laquelle l'égalité est déjà acquise. Cette position s'appuie notamment sur une comparaison avec les situations à l'étranger en présentant le Québec comme un paradis pour les femmes. Ce type de propos provoque une diminution de la radicalité des discours et de la vigilance à l'égard du sexisme.


L'antiféminisme ordinaire tend à diviser les femmes entre elles, en essayant de les convaincre qu'elles sont elles aussi victimes des changements sociaux induits par le féminisme. Le discours antiféministe traite sur un pied d'égalité les inégalités entre les hommes et les femmes en donnant un caractère systématique aux problèmes des hommes. Par ailleurs, il convient de noter que la publicité sexiste d'une part, et le néo-libéralisme d'autre part, contribue à l'antiféminisme ordinaire.


Différents catégories de groupes masculinistes ?


Le Grand dictionnaire terminologique de l'Office québécois de la langue française est le seul à définir le terme "masculiniste" comme désignant un "mouvement qui se préoccupe de la condition masculine". La source précise cependant que le terme : "(...) désigne à la fois un mouvement de défense des droits des hommes et de leurs rôles sociopolitiques et un mouvement de protestation qui vise à affranchir les hommes de leurs robes sociaux traditionnels. Il est étonnant qu'on puisse grouper sous la même étiquette deux mouvements dont les orientations sont passablement divergentes, mais pour l'instant, on semble désigner par masculinisme tous les mouvements qui se préoccupent de la condition masculine.".


Une lecture élargie montre, qu'en fait, le terme peut rendre de nombreuses significations et qu'il fait l'objet de luttes politiques. Il est assez largement considéré comme une forme d'antiféministe. En réponse au féminisme, ceux qui appartiennent à ce mouvement affirment dénoncer des atteintes aux droits des hommes. Terme absent de la plupart des dictionnaires, une exception notable étant le Grand dictionnaire terminologique, le masculinisme chercherait à promouvoir les droits des hommes et leurs intérêts dans la société civile.


Francine DESCARRIES (féministe québécoise et professeure coordinatrice de la recherche et directrice du centre de recherche au Département de sociologie de l'Université du Québec à Montréal (UQAM) et membre de l'IREF (Institut de Recherches et d'Études Féministes)) souligne la diversité des groupes masculinistes. Certains se sont constitués autour d'un questionnement sur la masculinité sous forme de thérapie. Les groupes conservateurs, eux, appellent à un retour aux rapports sociaux traditionnels entre les sexes. Enfin, les groupes de défense des droits des pères constituent une troisième catégories, une des plus virulentes à l'égard du féminisme. D'une façon générale, le terme antisémitisme désigne divers individus ou regroupements masculinistes qui participent d'une mouvance de droit antiféminisme. Selon Francine DESCARRIES qui associe mouvement social à une volonté collective de changement, le mouvement masculiniste ne peut être considéré de ce point de vue comme un mouvement social. Ses buts ne coïncidant pas avec l'égalité ni la transformation des rapports sociaux de sexe, l'analogie avec le féminisme se révèle alors trompeuse.


Que disent-ils ?


Il refusent d'admettre que les femmes vivent encore des inégalités sociales systématiques favorisant les hommes. Surtout, les masculinistes antiféminismes imputent les problèmes vécus par les hommes (tels que le décrochage scolaire, le taux de suicide et la situation parentale de certains pères divorcés) aux féministes voire même aux femmes. Ils remettent également en question les avancées apportées par le féminisme tels que le droit à l'avortement au l'équité salariale en qualifiant de "problèmes" ces apports pourtant majeurs.


Que font-ils ?


Les médias accordent une large place à ces groupes. Cela leur permet de propager une vision fausse du féminisme dans la société notamment auprès des jeunes et à "jouer" sur leurs insécurités pour semer le doute chez plusieurs femmes quant au bien-fondé de leur revendications. De même, ils maintiennent une pression au niveau des gouvernements pour qu'ils modifient leur approche de l'égalité entre les sexes.


Ce que sous-tend le discours des masculinistes


L'idée persistante d'un temps meilleur où les femmes occupaient "leur" place révèle toute la nostalgie attachée à leurs discours. Leur discours vise également la désinformation. Ainsi, les discriminations que subissent les hommes sont présentées comme des réalités alors que les faits ne confirment pas ces thèses. Les antiféministes pratiquent la distorsion de la réalité en qualifiant par exemple le Québec de "matriarcat". Les argumentaires masculinistes montrent également une ambivalence face à l'égalité, potentiellement dévirilisante. Ceci révèle le report de leurs inquiétudes sur les femmes. La mauvaise foi les poussent à déclarer que seules les voix des femmes se font entendre dans les institutions. En posant le féminisme en tueur de la séduction, ces hommes exercent un chantage à l'égard des femmes qui hésitent alors à se dire féministes. Ils associent des hommes à des victimes alors qu'ils sont dominants dans les rapports sociaux de sexe, en allant jusqu'à déformer les réalités historiques. Enfin, ils n'hésitent pas à user de la caricature pour dévaloriser les féministes.


Riposter ou se taire ?


Finalement, Francine DESCARRIES préfère se consacrer à l'agenda féministe plutôt que d'adopter une position continuellement défensive. Elle ne riposte donc plus aux attaques antiféministes. Elle cherche plutôt à les contrer en réitérant le message féminisme en faveur de la l'égalité, la justice social et la démocratie.


Un mouvement social ?


Le principal désaccord avec Francine DESCARRIES a trait à la notion de mouvement social. Selon Francis DUPUIS-DERI (écrivain et professeur québécois au Département de sicience politique de l'Université de Québec à Montréal (UQAM) et également de l'IREF (Intitut de Recherches et d'Études Féministes), les mouvements sociaux ne visent pas seulement l'émancipation ou l'égalité. Les groupes les plus conservateurs peuvent être qualifiés de mouvements sociaux. D'ailleurs, les groupes masculinistes existent dans d'autres pays et ne sont pas des groupes isolés. Les représentants de ce mouvement proviennent d'horizons divers, notamment des milieux intellectuels. Ces groupes disposent d'un répertoire d'action large qui s'étend des actions directes aux menaces. D'après Francis DUPUIS-DERI, les groupes masculinistes antiféministes seraient le mouvement social le plus efficace à se faire entendre depuis quelques années au Québec. Abondant dans le sens de Francine DESCARRIES, il souligne que les hommes blancs bourgeois prétendent régulièrement être en crise dans l'histoire.


Le mouvement masculiniste antiféministe trouve son origine dans les années 1980 dans la mouvance conservatrice mais aussi à partir de dérapages au sein des groupes pro-féministes de la décennie précédente. Le discours s'articule alors autour de l'idée que le féminisme serait allé trop loin. Le mouvement prend de l'expansion dans les années 1990. Par la suite, les féministes répondent à ce phénomène en publiant, par exemple, le Women's Respond to the Men's Movement (Women's Respond to the Men's Movement : A Feminist Collection, Pandora Press, 1992).


Le discours masculiniste antiféministe


Francis DEPUIS-DERI articule sa présentation autour d'extraits de livres écrits par des mascunilstes antiféministes. Ainsi, dans La cause des hommes (Viamédias, 2005), Patrick GUILLOT soulève que le problème actuel des hommes réside, entre autres, dans le fait que dès qu'une femme investit un emploi traditionnellement masculin, les hommes ne peuvent plus y trouver de référence. Il devient un modèle strictement féminin. Cette situation déstabiliserait le bon développement des hommes en les privant de modèles.


En restant à un niveau psychologique, le discours masculiniste dépolitise le débat. La solution qu'ils proposent n'est ni politique ni économique. Elle consiste à réaffirmer l'ancienne identité masculine plutôt que d'appeler à un changement des pratiques actuelles. Cela se traduit, par exemple, à travers la "psychopop" dans la même veine que Les hommes viennent de Mars et les femmes de Vénus (John GRAY, Logiques, 1994), appelant à des rôles bien distincts entre hommes et femmes.


Francis DUPUIS-DERI appelle "mouvement masculiniste" toutes ces analyses qui soutiennent une remasculinisation de la société. Yvon DALLAIRE (psychologue canadien (Québec), auteur, conférencier et éditeur) par exemple, s'inscrit dans ce mouvement quand il cherche à revaloriser les organes génitaux masculins. Son raisonnement s'énonce comme suit : l'homme est prédisposé à la pénétration, c'est pourquoi il réalise des découvertes et tend à vouloir explorer l'univers.


Enfin, l'idée que les hommes n'ont pas accès aux même services que les femmes, sur laquelle s'appuient les revendications des groupes masculinistes antiféministes, constitue une illusion. Les hommes bénéficient en effet de plus de services à tous les niveaux. Francis DUPUIS-DERI conclut que le problème vient des masculinistes et non pas des féministes.


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